Cette citation d'Umberto Eco apparaît comme il se doit dans ce délicieux bijou à l'ancienne qu'est l'article de Richard Ashdowne sur le...vocatif.[1]
Cet article commence d'ailleurs par un dialogue savoureux tiré de la première autobiographie de Churchill. [2]
« What does it mean, sir?
It means what it says. Mensa, a table. Mensa is a noun of the First Declension. There are five declensions. You have learnt the singular of the First Declension.
But, I repeated, what does it mean?
Mensa means a table, he answered.
Then why does mensa also mean O table, I enquired, and what does O table mean?
Mensa, O table, is the vocative case, he replied.
But why O table? I persisted in genuine curiosity.
O table, – you would use that in addressing a table, in invoking a table. And then seeing he was not carrying me with him, You would use it in speaking to a table.
But I never do, I blurted out in honest amazement.
If you are impertinent, you will be punished, and punished, let me tell you, very severely, was his conclusive rejoinder.»

Les choses sérieuses ne commencent vraiment qu'à la douzième page de l'article. L'auteur a d'abord, en musardant sans se perdre, brossé par petites touches le cadre de l'étude, en particulier une distinction bienvenue entre fonction vocative et valeur d'interpellation (address). On apprend alors que sur les 403 exemples relevés [3] 76% apparaissent en position initiale ou finale de phrase, mais également en seconde position.[4]
Le paragraphe clé suit immédiatement:
«Ce qui est très frappant est que lorsque le vocatif est en seconde position, il semble suivre habituellement un constituent topicalisé (topical)[5]; ceci suggère qu'en réalité le vocatif était en position initiale avant une opération de topicalisation.» (p. 155).
L'exemple princeps est:
alii, Lyde, nunc sunt mores. (Plaut. Bacch. 437)
'Bien différents, Lydus, sont de nos jours les moeurs'.

On retrouve là une hyperbate entre l'attribut alii ('différents') en position initiale devant la phrase nucléaire et le substantif mores ('moeurs') en position post-verbale. La position de nunc ('maintenant') nous assure que la copule est n'est pas en position initiale. Le nom propre au vocatif Lyde ('Lydus') marque la jointure entre la position détachée à gauche et la phrase nucléaire.
L'insertion du vocatif apparaît bien comme une nouvelle 'astuce' pour lever l'ambiguïté entre la position thématique initiale de phrase nucléaire et la position rhématique détachée.

A suivre...

Notes

[1] The vocative's calling? The syntax of address in Latin, Oxford University Working Papers in Linguistics, 2002, pp. 143-162.

[2] Churchill, Winston S. My Early Life: A Roving Commission. Thornton Butterworth, London, 1930, p. 25.

[3] Dans une sélection d'oeuvres de Plaute, Térence, Cicéron, Pétrone.

[4] Plus de moitié des 24% restants s'insèrent à la jointure entre grands constituents syntaxiques, comme propositions principales et propositions subordonnées.

[5] Rhématique dans notre jargon.