Ce corpus est disponible ici. [1]
La majorité des énoncés a la forme générale Nom propre a fait ses sebaciara [2] au mois de ..., souvent précédée d'informations sur les unités (centurie..) et les dates (par règne d'empereur ou consultat etc.), et parfois suivie [3] par des voeux ou des remerciements [4]

Dans un énoncé isolé, le degré de rhématicité n'est fonction que de la situation extralinguistique. Nous allons tester nos hypothèses sur l'ordre des mots dans ce corpus de latin populaire, comme le montrent bien les graphies hésitantes, de la manière suivante: les syntagme prévus comme rhématiques par notre analyse sont-ils intuitivement sentis comme tels? Comme on va le voir, l'ordre des mots n'a rien de stéréotypé !

La présence du verbe 'support' facere peut suggérer que son complément sebaciara se trouvera fréquemment en position post-verbale, étant sémantiquement plus lourd que le verbe. Ce n'est pas le cas. On a l'ordre 'complément verbe' dans 19 cas sur 22, par exemple:

(230) imp. Severo Alexand. III | et Cassio Dione iteru cos. | coh. VII vigulum Severiane | (centuria) Felicis Purius Victor || sebaciaria fecit m. | Febr. omnia tuta. votis X. | cogiariu X aurios

Voici l'un de trois cas inverses:

(223) coh. VII vig. Severiana (centuria) Faven[ti]|ni Iulius Saturninus fecit se baciaria mense Augusto Fusc[o] | II et Dextro cos. sub Cr[. . .] Severino ...

On pourrait plaider que l'ordre classique 'complément - verbe', où le complément pré-verbal est rhématique, est encore largement majoritaire à cette époque. Mais il faut noter que le couple sebaciara fecit est suivi directement du mois de service dans 12 de ces cas, comme dans l'exemple (230). Cette indication de date ne précède d'ailleurs le verbe que dans un cas sur 20:

(219) imperatores Antonino et Al[e]ssanro, | Grato et Se-(leuco) cos. k(alendis) Iunis | . Celius Saturninus . sebaciaria | . fecit || stependiorum III Celso adiutore (centurionis) ....

Il semble donc possible de plaider que la date du mois de service est plus rhématique que le complément, et qu'elle l'emporte donc dans la compétition pour la position post-verbale rhématique, laissant le plus souvent le complément en position pré-verbale. [5]

Le nom propre sujet arrive majoritairement en tête, le plus souvent après les mentions d'unités et de date. On a vu qu'il est difficile de savoir si un terme occupe la position initiale de la phrase nucléaire, en position thématique, ou est détaché à gauche, en position rhématique. On a peut-être un détachement à gauche rhématique dans cet exemple, où le nom du vigile est à l'initiale absolue:

(222) Segulius Maximus | miles coh. VII vig. | Antoniniana (centuria) Secundi | sebaciari. fecit mese || Decenbre cum Aelio | Apodemo comanpulo meo

Sur ce plan, il est très intéressant de noter que le sujet est post-verbal, donc rhématique, dans 3 cas, et en position finale absolue dans deux d'entre eux:

(237) coh. VII vigulum centur|iam Crispini sebaciaria fe(cit) | mesis Martiu Aufidus Secun|nus fysgo suo || felicisime intecre

Le verbe n'est en position finale absolue que dans l'exemple (219).[6] Il paraît donc impossible [7] de caractériser l'énoncé latin populaire de cette époque comme étant à verbe final: un élément (au moins, plus rarement deux), occupe la position post-verbale[8], et sa valeur rhématique ne fait guère de doute. Le locuteur semble devoir sélectionner au moins un élément rhématique à placer dans la position finale de la phrase nucléaire. Paraissent donc rhématiques dans ce type d'énoncé la date de la mission, moins souvent, le nom du vigile et, très rarement, le caractère de sa mission (sebaciara). Nos hypothèses permettent au moins de décrire cette quasi-obligation, et les termes retenus comme rhématiques (mois de garde, nom du vigile) apparaissent raisonnables.

Soulignons à nouveau pour finir la grande souplesse syntaxique de ce latin populaire du IIIe siècle: la construction des énoncés offre une grande diversité: le sujet peut être pré- et post-verbal; le complément direct peut suivre ou précéder le verbe; le complément de 'durée' peut précéder (rarement) ou suivre le verbe. Il ne paraît donc pas possible de caractériser de manière simple l'ordre des mots en latin en fonction de la nature syntaxique des éléments. Le fait d'être sujet ou un type de complément ne paraît pas un critère déterminant. [9]
A l'inverse, ces énoncés sont bien plus homogènes si on les caractérise en termes discursifs, en particulier à partir du degré de rhématicité des syntagmes qui les composent.

A suivre...


On lit sebacaria fecit (217?) sur ce détail d'une photo ancienne.

Notes

[1] Ernst Diehl, Pompeianische Wandschriften..., Bonn, A.Marcus, 1910 pp. 14-17, avec renvoi au CIL (Corpus des Inscriptions Latines)). Notre numérotation des exemples suit celle de Diehl.

[2] sebacaria est sans doute tiré de sebacium 'chandelle de suif' (Grand Gaffiot) lui même issu de sebum 'suif', encore connu aujourd'hui comme terme médical désignant la sécrétion qui protège le conduit auditif externe.

[3] Ces informations sont en gris dans les exemples.

[4] Dans trois cas, le verbe est à la première personne: feci 'j'ai fait'.

[5] Ceci suppose que le nombre d'éléments licites en position post-verbale est limité.

[6] Et peut être (233). En (219) sebaciara est rhématique.

[7] Si cela a bien été le cas à une époque antérieure.

[8] Trois peut-être dans l'exemple (236). On remarquera que Cicero offre déjà des exemples clairs avec deux éléments en position post-verbale.

[9] d'où la faible pertinence, à notre avis, des travaux utilisant les étiquettes S(ujet), O(bjet) et V(erbe) pour caractériser les configurations. Paolo Ramat Linguistic Typology (Mouton, 1987 pp. 136-137) contient des remarques intéressantes à propos de ce corpus et des graffiti de Pompéi: le verbe et le complément sont toujours contigus, séparés au plus par un adjectif dans un cas: (221) sevacia tuta fecit; l'ordre ne dépend pas de la perte des finales casuelles. Il souligne également que la liberté de l'ordre des mots est considérable.